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“Emmanuel Carrère est né en 1957 à Paris. Prix Renaudot 2011 pour Limonov, il est également l’auteur de La Moustache, La Classe de neige (prix Femina 1995), L’Adversaire, Un roman russe et D’autres vies que la mienne.”
«L'écriture d'Emmanuel Carrère est extraordinairement hypnotique tout en paraissant simple. Il possède cet art de rendre intéressant, vital, symbolique chaque destin qu'il décide de raconter.»
[ Texte de la couverture arrière ]
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La première fois que j'ai eu Je suis vivant et vous êtes morts entre les mains, alors que je le préparais pour le mettre en circulation à la bibliothèque, je n'en ai pas pensé grand chose. Je connaissais Emmanuel Carrère de nom (ayant beaucoup entendu parlé de Limonov par exemple) mais je n'avais jamais lu (ou même été tenté de lire) un de ses livres. Toutefois, je feuillette toujours les livres qui me passent entre les mains: par nécessité d'abord (pour avoir les information nécessaire pour bien catégoriser le livre et l'identifier avec le pictogramme adéquat), par curiosité souvent, mais surtout pour me familiariser avec la collection afin de pouvoir bien servir la clientèle (cela m'a souvent été utile). Je croyais que c'était un roman, alors j'ai été extrêmement surpris de découvrir qu'il s'agissait en fait d'une livre traitant de Philip K. Dick (sans conteste l'un de mes auteurs favoris). En fait, c'est une biographie romancée de Dick, ce qui n'est, après tout, pas si surprenant que cela puisque Carrère a plusieurs fois touché au genre biographique (Werner Herzog, L'Adversaire, D'autres vies que la mienne, Limonov). J'ai d'abord cru que c'était un livre récent, puisqu'il m'arrivait avec les nouveautés, mais en fait c'est la réédition en format poche d'un livre paru en 1993! Malgré tout, j'ai tout de suite su que je devais absolument lire ce livre.
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Carrère décrit et explique plusieurs nouvelles et romans de PKD à travers lesquels il nous fait découvrir le cheminement existentiel de l'auteur qui a été tour à tour intello, bohème, bourgeois, artiste, hippy, junky et mystique. Ces différentes étapes ont été ponctué par une succession d'épouses ou de compagnes: Jeanette l'amatrice de musique classique rencontrée dans la boutique de disques où travaillait PKD (1948), Kleo la gauchiste rebelle (1950), Anne (1959) qui lui donne une fille (Laura Archer née en 1960) et qui souffrait d'instabilité psychologique, Nancy la mondaine (1964) qui lui donne une seconde fille (Isa) et Tessa la timide croyante avec qui il s'installe à Fullerton (1972) et qui lui donne un fils (Christopher né en 1973). Il décrit également la série d'événements ou de visions qui jalonnent sa vie et le marquent profondément: la mort de sa sœur jumelle un peu plus d'un mois après leur naissance, son père portant un masque à gas de la 1ère guerre mondiale, un visage dans le ciel, le cambriolage de sa maison de Berkley, une livreuse de pharmacie portant un pendantif en forme de poisson qui provoqua ce que PKD appela son “anamnèse”, etc.
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PKD avait souvent réfléchit à la religion, particulièrement au travers de ses longues discussions théologiques avec l'évêque James A. Pike (évêque épiscopalien du diocèse de Californie, rencontré à l'automne 1965 par l'entremise d'une amie, dont la foi vacilla suite aux révélations des manuscrits de la mer morte qui suggéraient que le Jésus historique n'aurait été qu'un simple prédicateur Essénien (apparemment, ceux-ci mangeaient un pain et buvaient un bouillon fait à partir d'un champignon hallucinogène, en une sorte de cérémonie antérieure à la communion!), il introduisit PKD à la Gnose et, par cela, eut une grande influence sur lui; il est également l'inspiration du personnage de Timothy Archer dans The Transmigration of Timothy Archer). Il eut aussi quelques expériences pseudo-religieuses (comme la vision d'un visage dans le ciel, qu'un prêtre attribua à Satan) sans doute causées par les effets secondaires des nombreuses drogues qu'il consommait. Mais rien de cela n'était comparable au mysticisme profond qu'il éprouva à partir de 1974 (possiblement déclenché par sa tentative de suicide, son séjour à X-Kalay, la chute de Nixon (son ennemi juré!), le sevrage de la drogue ou sa fameuse anamnèse). Obsédé, il passa de nombreux mois, sinon des années, à spéculer sur son expérience religieuse, définissant sa gnose dickienne dans de volumineux carnets de notes qu'il appelait son Exégèse. Ses cinq derniers romans (la “trilogie divine”) en sont fortement empreint: d'abord Radio Free Albemuth (une première tentative d'exprimer son expérience, écrit en 1976 mais publié de façon posthume en 1985), puis VALIS (SIVA, 1980), The Divine Invasion (L'Invasion divine, 1981) et The Transmigration of Timothy Archer (La Transmigration de Timothy Archer, 1982), puis finalement The Owl in Daylight (jamais complété, il y travaillait au moment de sa mort, le 2 mars 1982, suite à un AVC et à une crise cardiaque).
La biographie que nous présente Carrère nous permet de mieux comprendre qui était PKD, ainsi que son oeuvre. Dans le fond, PKD est une sorte de philosophe moderne qui questionne sans cesse tant sa propre identité que la véritable nature de la réalité et qui s'est façonné une conception de l'univers influencée par ses expériences avec une vaste pharmacopée (source de son instabilité psychologique, de sa paranoïa, de sa schizophrénie -- quoique, apparemment, les drogues dures n'y ont pas joué de rôle significatif, à part pour une brève période de sa vie, contrairement à l'image qu'on a eut de lui particulièrement en Europe) et par ses croyances gnostiques. Mais dans quelle mesure tout ce que nous raconte Carrère est réel? Quelle part en est spéculation ou invention ? En effet, certains anecdotes ou détails nous semble douteux car trop précis. Après tout l'ouvrage est décrit comme une biographie “romancée.” Comme beaucoup d'auteurs, PKD a sans doute puisé dans ses propres expériences pour étoffer ses récits, mais j'ai l'impression que Carrère a parfois comblé les vides dans la vie de son sujet en tirant la matière directement de l'oeuvre de PKD sans se soucier si l'anecdote était véridique ou fictif. Cela expliquerait sans doute pourquoi, comme certains en ont fait la juste remarque, que Je suis vivant et vous êtes morts “se lit comme un roman de Dick”.
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En lisant tout ceci je me rend compte que PKD a exercé sur moi une plus grande influence que je ne le croyait. Certes, ma fascination pour cet auteur provient d'abord d'une certaine affinité commune (j'ai eu mon lot d'expériences personnelles dickiennes, incluant une certaine paranoïa, un alter-ego androïde du nom de Flip Cody (sans doute lui même influencé par la participation à de nombreux jeux de rôle), un intérêt académique pour les religions, des voix intérieures (ou de la poésie?) criants “Libera me” ou “Let me out of here!” (tout cela sans le moindre usage de drogue!), etc.) mais il m'apparait que beaucoup de ces choses que j'ai ressenti ou rêvé me viennent probablement des livres de PKD que j'ai lu, oublié et que mon subconscient a intégré. Fascinant!
Finalement, Je suis vivant et vous êtes morts m'a fait découvrir des facettes de PKD que je n'avais jamais imaginé. D'une part, j'ignorais que ses oeuvres contenaient autant d'éléments autobiographiques. C'est troublant. D'autre part, je ne pensait pas que l'aspect religieux y avait eu autant d'importance et d'influence. Mmmm... Tout cela me donne le goût de relire les livres de PKD (mais cette fois non pas en traduction mais dans la version originale). Quoiqu'il en soit, si vous n'êtes pas familier avec PKD, Je suis vivant et vous êtes morts vous le fera découvrir (mais gare aux “spoilers”). Et si vous êtes déjà un amateur, il vous le fera vraiment découvrir!
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Je suis vivant et vous êtes morts, par Emmanuel Carrère. Paris, Éditions du Seuil (Coll. Points, #258), 2012. 11 x 18 x 1.8 cm, 416 pg., 7,70 € / $14.95 Can. ISBN: 978-2-7578-3072-7.
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Pour plus d'information vous pouvez consulter les sites suivants:
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Je suis vivant et vous êtes morts © Emmanuel Carrère et les Éditions du Seuil, 1993.
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