Les commentaires du Pirathécaire et les réactions qu'il suscite m'amènent à faire de nouvelles réflexions.
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D'une part, à lire les motivations qui poussent le Pirathécaire à s'exprimer dans son blogue, je réalise que mes propres motivations sont tout à fait semblables au siennes, quoi que dans mon cas je suis relativement nouveau dans l'univers des bibliothèques et que mon point de vue est celui d'un aide-bibliothécaire (après avoir durement oeuvré dans l'édition j'ai choisi ce travail sans doute par une sorte de plaisir pervert, et la diversité de mon expérience m'amène à m'exprimer sur un plus large éventail de sujets--j'observe silentieusement et commente quand je crois qu'il est important de le faire). Je ne partage certes pas toutes ses opinions mais je sens que notre “combat” est similaire…
D'abord, je suis parfaitement d'accord avec l'opinion déjà énoncé (par B. Majour) que les bibliothèques doivent promouvoir la culture dans tout ses aspects. Et toutes les cultures. Je suis également d'accord que l'accroissement des collections de dvds n'est pas une mauvaise chose, mais je comprends aussi les frustrations de mes collègues. J'en ai entendu souvent se plaindre qu'ils avaient maintenant l'impression de travailler plus dans un club video que dans une bibliothèque (après tout une BIBLIOthèque, c'est pour les livres, non? Pourquoi pas changer le nom pour médiathèque ou culturethèque?). Je partage aussi l'avis (émit par Caro) que l'on doit avoir une politique de gestion précise pour les collections de dvds. Pour moi c'est d'abord une question d'allocation des ressources. Quand les budgets d'acquisition sont limités il est logique d'acheter en premier lieu des documents que les usagers ne pourraient pas aisément se procurer ailleurs. Les dvds de blockbuster Hollywoodiens sont aisément accessible dans les clubs vidéos, alors pourquoi les bibliothèques ne prioriseraient-elles pas les dvds de films Québécois, d'auteurs, de répertoire, les adaptations de chef-d'oeuvres littéraires et les documentaires (musique, voyages, intérêt publique, etc.) qui sont relativement rares dans les clubs vidéos? Il n'y a pas de mal à ça: plusieurs bibliothèques (Marie-Uguay et Plateau Mont-Royal, entre autres) semblent déjà faire ce choix délibéré. C'est un choix pragmatique qui n'a rien d'élitiste.
Par contre, oui, des opinions élitistes j'en entends parfois dans les bibliothèques. J'ai déjà entendu un collègue aide-bibliothécaire se plaindre que ce que publiait les éditions Alire (un éditeur québécois dédié à ce qu'on appelle parfois la para-littérature: policier, fantastique, science-fiction, etc.) ce n'était pas de la VRAI littérature. Mais qu'est-ce donc que cette vrai littérature? Les Proust, Claudel, Balsac, Hugo, Dumas, Beaudelaire, Maupassant, etc. ? C'est sûr que c'est de la bonne littérature classique mais la littérature évolue et aujourd'hui -- ici et maintenant -- ce n'est plus ce que la majorité des gens lisent. Alors, oui, les bibliothèques doivent offrir de la diversité dans la culture. Cette personne voulait sans doute dire que, selon elle, ce n'était pas de la BONNE littérature, mais ça c'est une question de goût (par soucis de transparence, je dois avouer avoir plusieurs connaissances et amis qui travaillent ou sont publiés aux éditions Alire).
Je seconde également très fortement l'avis (avancé par A.C.) voulant que le commentaire de M. Frotey n'était nullement une attaque contre les bibliothécaires mais plutôt contre l'administration des bibliothèques (les chefs de division et autres administrateurs d'arrondissement) qui semblent se soucier moins de la culture que de leur budget et de politique. Le problème n'est donc pas du tout au niveau de l'administration des bibliothèques elles-mêmes ou de la gestion des collections. J'ai parlé à plusieurs bibliothécaires qui sont extrêmement frustré des inepties et inconsistances administratives qui leur rendent la vie impossible et surtout du fait que les échellons administratifs supérieurs semblent souvent ignorant de la réalité sur le terrain.
Comme je l'ai exprimé précédemment dans un billet , les bibliothèques font actuellement face à plusieurs problèmes sérieux: des coupures discrètes dans le personnel et l'accroissement de la charge de travail qui en découle, une banque réseau qui se désagrège et n'est plus gérable à cause d'ententes syndicales particulières avec certains arrondissements (exacerbant les problèmes de personnel), un réseau de bibliothèques qui éclate au gré des arrondissements (les règles de prêt divergent de plus en plus d'un arrondissement ou d'une bibliothèque à l'autre), équipements et installations vieillissantes, etc. Tout cela non seulement crée un malaise et un stress croissant pour les employés qui doivent oeuvrer dans un environnement de travail de plus en plus exigeant, mais aussi diminue grandement la qualité du service offert aux usagers. Dans plusieurs bibliothèques c'est de plus en plus le bordel dans les étagères parce qu'on manque soit d'espace soit de personnel et qu'on ne peut pas allouer assez de temps pour la “lecture de rayon” (mise en ordre périodique du rayonnage).
D'où ce commentaire souvent entendu en bibliothèque: “ce n'est plus du travail de bibliothèque qu'on fait mais du travail de ‛shoppe′.” En effet notre travail est parfois rythmé par des “slave drivers” qui s'assurent qu'on n'a pas trente secondes de répit. “Quoi? T'es pas capable de faire simultanément des retours et des prêts, de t'occuper des réservations internet, de faire la vérif, tout en nettoyant les dvds et collant des cotes sans faire d'erreurs?” dit-il sur un ton qui semblait exaspérer de mon incompétance. Non c'est du travail industriel qu'on fait. Et j'exagère à peine. Elle est où la culture la-dedans?
Quant à tout ce qui a été dit (entre autre par “Ho Chi Min”) sur l'attitude entre bibliothécaires et aide-bibliothécaires, je dois dire que j'ai toujours eu une excellente relation avec la plupart des bibliothécaires avec qui j'ai travaillé. Certains sont même de grands amis. Mais j'ai aussi rencontré un certain mépris de la part de quelques bibliothécaires qui semblent regarder de haut leur employés (dans certains cas je n'ai même jamais eu le priviligège de recontrer le bibliothécaire en charge de la bibliothèque). Je dois avouer qu'après près de dix ans d'université et vingt ans dans l'édition (dont une bonne partie à faire de la gestion) cela m'irrite beaucoup de me faire parfois traiter comme un enfant. Certes, l'exigence du poste n'est qu'un secondaire cinq et c'est un emploi d'étudiant idéal mais j'ai constaté, qu'au contraire, le niveau de scolarité des aide-biblios était beaucoup plus élévé. Nombreux sont les aide-biblios avec une maîtrise ou qui viennent des médias et d'occupations orientées sur la culture. Ce n'est pas la préoccupation de tous, mais beaucoup d'aide-biblios prennent la culture très à coeur. On fait peut-être les basses besognes des bibliothèques (replacer les livres sur les étagères, coller des cotes et scanner des code-barres à en devenir zombies) mais on est pas des idiots pour autant. On ne connait peut-être pas tout les grands détails de la science bibliothéconomique mais avec l'expérience de travail (et notre vécu) on est tout d'même capable de comprendre comment une bibliothèque fonctionne… Un peu de respect, s'il-vous-plait. Nous aussi on aimerait un peu de reconnaissance pour notre travail.
J'en conviens: gérer une bibliothèque n'est pas une tâche facile. Non seulement il y a une politique de bibliothèque à la ville, mais chaque bibliothécaire a aussi sa propre vision des choses. Et il n'est pas là pour faire plaisir aux employés (quoique les diriger avec compréhension et respects, ça c'est faisable--il y a-t-il un cours de gestion de personnel dans le programme de Bibliothéconomie?) mais il est plutôt là pour offrir la meilleure bibliothèque, le meilleur service possible. Il doit servir tant la culture, les auteurs que les usagers (sans oublier ses bureaucrates de patrons). Et tout ça avec un budget limité, voir parfois dérisoire. Faut pas croire que nous, les employés, les aide-bliothécaires, on ne fait que chialer. Nous aussi la bibliothèque, la culture, nous tiens à coeur. Malheureusement, après un certain temps, à voir toute la politique et les absurdités qui interviennent dans la gestion des bibliothèques, il est difficile de ne pas être décu et ne pas ressentir une certaine amertume. Mais il faut savoir passer outre car il y a encore tant à faire pour promouvoir la culture et l'amour des livres (et faut bien payer le loyer)... C'est pour cela que, quelles que soient les opinions émisent, un débat sur ce genre de sujet est toujours une bonne chose. On en parle pas assez.
Une dernière chose (2009-12-19): Je n'aime guère le terme “commis de bibliothèque” tel qu'on l'utilise à la Bibliothèque et Archives Nationales du Québec ou dans certaines bibliothèques universitaires. Je crois que c'est un terme réducteur et qui rabaisse notre travail au niveau de celui de simple commis d'épicerie (sans vouloir offenser les-dit commis d'épicerie -- quoiqu'au bout du compte on fait le même genre de travail: regarnir les étagères, informer les clients et leur vendre notre salade, appliquer les étiquettes, opérer la caisse enregistreuse, etc.). A l'opposé, J'ai cru comprendre que certains bibliothécaires préfèrent le terme de commis (“employé chargé des écritures, de la vente ou des tâches manuelles”) car ils n'aiment pas voir le nom de leur auguste profession associé à des gens qui n'ont pas leurs diplômes (arrachés au prix de grands efforts)... ;)
1 comment:
Merci pour ce très intéressant billet! Je n'ai malheureusement pas le temps d'y répondre avec l'attention qu'il mérite, ces temps-ci.
J'y reviendrai certainement, toutefois, dans un prochain billet sur le "potentiel caché/sous-estimé" du poste de commis, sujet inspiré par ce nouveau blogue d'un magasinier de bibliothèque universitaire français qui est déjà en passe de devenir un de mes préférés:
http://magbu.wordpress.com/
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