Ce n'est pas un hasard si l'oeuvre de Jirō Taniguchi est souvent adaptée en français par Frédéric Boilet, qui se fait également le héraut de la “nouvelle manga.” Ce genre se définit comme une nouvelle vague de roman graphique qui surpasse les marchés nationaux que sont la BD européenne, le comics américain ou le manga japonais pour offrir une sorte de syncrétisme artistique. C'est un genre d'auteur, plus mature et innovateur que son parent commercial, qui a une prédilection particulière pour le thème universel de la vie quotidienne. Les oeuvres personnelles de Taniguchi, celles dont il est également l'auteur en plus d'en être l'artiste comme c'est le cas pour Quartier Lointain, appartiennent indéniablement à ce genre.
Quartier Lointain [遥かな町へ / Haruka-na machi he], après une sérialisation dans le magazine seinen Big Comic, destiné à un public masculin plus âgé, a d'abord été publié en deux volumes (1998-99 au Japon et 2002-03 en France) avant d'être compilé dans une édition intégrale (2004 au Japon et 2006 en France). Quatre ans plus tôt, avec Le journal de mon père (l'histoire d'un homme qui, après un longue absence, revient dans son village natal pour les funérailles de son père), Tanuguchi avait déjà touché le thème de la réminiscence, mais il y ajoute cette fois une touche de fantastique. Son style habituel, soigné et détaillé, qui sait fort bien rendre toute l'émotion et la sensibilité du récit, est le canevas idéal pour ce superbe travail narratif. Une fois de plus Taniguchi documente d'une façon intimiste la vie quotidienne japonaise.
On s'attend à ce qu'une telle histoire de voyage dans le temps soit une forme de science-fiction introspective, mais c'est en fait clairement du fantastique tel que définit par Todorov. Si Taniguchi n'aborde jamais les causes de l'expérience temporelle de son personnage, il met néanmoins en place les éléments nécessaire pour deux explications opposées: d'une part l'événement survient alors que Hiroshi visite la tombe de sa mère et qu'un papillon croise son chemin, ce qui suggère une intervention divine ou supernaturelle et, d'autre part, comme l'expérience débute et se termine au même endroit et qu'il avait beaucoup bu la veille, on peu imaginer que toute cette histoire est une sorte de rêve ou d'épiphanie éthylique. Toutefois, si cela nous offre une intéressante question rhétorique, l'élément déclancheur du récit n'a guère d'importance. Ce qui intéresse Taniguchi ce n'est pas tant le “comment” que le “pourquoi.”
Une fois qu'on a compris les prémices de l'histoire on ne peut que se demander si Hiroshi sera prisonnier de ce jeune corps, condamné à revivre son adolescence (l'horreur!) ou si le savoir acquit et son expérience d'adulte ne l'amèneront pas à modifier son “futur.” En fait, l'expérience sera doublement transformationnelle. En portant son regard d'adulte sur son enfance il comprend beaucoup de choses qui avaient échappé à l'enfant qu'il était. Inversement, expérimenter à nouveau la vivacité et la vigeur de la jeunesse, lui permet de se ressourcer et de remettre en question sa vie de salarié aux portes de la cinquantaine, un peu trop porté sur l'alcool et qui ne porte plus qu'un intérêt distant à sa famille.
Quartier Lointain nous offre donc une lecture intéressante et intelligente. Ce manga fait définitivement partie des meilleurs oeuvres de Taniguchi, celles qui méritent vraiment notre attention. A noter qu'une adaptation cinématographique, réalisé par Sam Garbarski, est actuellement en préparation en France.
Quartier Lointain: L'intégrale, par Jirō TANIGUCHI. Casterman, 2006. B&W (6 pg en couleur), 17 x 24 cm, 405 pgs. 25.95 € / $54.95 Can. Recommandé pour adolescents (13+). ISBN: 978-2-203-39644-9.
Quartier Lointain © 1998, 1999 by Jiro Taniguchi. All rights reserved. © Casterman, 2006 pour la traduction française.
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