Les Métamorphoses ou l'Âne d'or (Metamorphoseon / Asinus aureus) a été écrit par Apulée (125-180) au IIe siècle et raconte les tribulations de Lucius. Celui-ci est de bonne condition: il vit avec aisance et le fait qu'il voyage en Thessalie pour affaires en compagnie de son cheval et d'un esclave le démontre bien. Sa trop grande curiosité à l'égard de la magie mettra cependant fin à sa bonne fortune. Il se verra plongé dans une honteuse déchéance lorsque, transformé en âne, il vivra de multiples mésaventures à la recherche de sa forme originelle. Ce n'est qu'après ces nombreuses aventures, certaines heureuses mais la plupart malheureuses, où il change souvent de propriétaire et échappe sans cesse au trépas, que Lucius redeviendra un homme, non sans avoir subit une profonde transformation.
Les métamorphoses est non seulement un excellent ouvrage qui rend bien compte de l'imaginaire romain mais il se lit avec aisance et est d'une modernité étonnante tant dans la clarté de son action, le réalisme de ses descriptions ou l'absence de fausse pudeur dans ses scènes érotiques (c'est le cas aussi pour le seul autre roman de l'antiquité à nous être parvenu: le Satyricon de Pétrone). Il est toutefois surprenant de constater que l'on retrouve dès l'antiquité, dans ce roman d'Apulée, des thématiques typiques du merveilleux. Roman satirique ou conte fabuleux, Les Métamorphoses est donc une histoire de fantasy avant la lettre.
Continuez après le saut de page >>
La thématique la plus constante dans le roman d'Apulée est celle de la magie (ou sorcellerie) que l'on retrouve plus particulièrement sous ses aspects d'altération (la sorcière se changeant elle-même, ou une autre personne, en animal), d'enchantement ou de divination. Elle concurrence sérieusement la thématique plus classique de l'intervention divine, qui n'apparait d'ailleurs que dans les fables insérées dans le récit. À part ces quelques réminiscences de la mythologie classique, la tradition populaire est nettement dominante. Il faut croire que le folklore des campagnes n'a guère changé en deux-mille ans.
D'autres thématiques typiques de la fantasy sont également présentent, comme celle du “bestiaire” surnaturel. Orcus, un dieu mineur des morts chez les romains (et un célèbre démon dans Dungeons & Dragons) est mentionné une demi-douzaine de fois. Il est question de divers types de fantômes: les lémures (des âmes sans corps), les lares (démons protecteurs), les larves (damnés errants) et les mânes (morts de condition incertaines). On y voit aussi une sorte de loups-garou: les versipelles (des hommes qui peuvent se changer en bêtes à volonté). Et des dragons apparaissent à plusieurs reprises dans le récit: les soeurs de Psyché imaginent son invisible amant comme un reptile monstrueux, la source du Styx où Psyché doit puiser une eau sombre pour Vénus est défendue par des dragons dotés de mâchoires aux dents cruelles et d'une langue à triple fourche (VI, XV, 5: inter genas saevientium dentium et trisulca vibramina draconum), un compagnon de voyage de Lucius est dévoré par le dragon monstrueux qui est le gardien d'un bois, et Lucius, lors de son initiation isiaque, porte une robe ornée de figures de dragons de l'Inde et de griffons hyperboréens.
On rencontre souvent dans le récit des personnages ou des lieux dotés d'attributs fabuleux ou magiques: des gens qui peuvent parler aux plantes, aux animaux ou même aux objets inanimés; des palais somptueux emplis de serviteurs invisibles et où les tables demeurent toujours garnies (le palais de Cupidon); et l'existence de lieux “autres” tels que l'Enfer, le Tartare, l'Olympe, et même le palais de Cupidon est situé dans un “ailleurs” où l'on est transporté par le vent Zéphir (la mythologie semble généralement laisser croire que cet “ailleurs” est géographique -- l'Olympe dans le ciel et l'Enfer dans le sol -- mais par moment on semble y déceler une notion primitive de plan dimensionnel).
Plus que la thématique, la structure même du récit d'Apulée l'apparente au roman de fantasy. Les Métamorphoses offre un aspect féerique du fait que la narration principale est régulièrement interrompue par le récit de divers contes, fables ou légendes, ce qui n'est pas sans rappeler les Mille et une nuits, écrit au Moyen-âge, ou même Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien. Le récit est savamment entrecoupé de ces contes fabuleux: on y retrouve trois histoires racontant les exploits d'un groupe de brigands, trois histoires d'amour (Cupidon et Psyché, Plotina, Charité) et enfin le récit de trois adultères qui se terminent en crimes monstrueux. Le conte de Psyché est particulièrement connu: Vénus, jalouse de Psyché, charge son fils Cupidon (Eros) de l'éliminer mais celui-ci l'amène plutôt dans son palais en lui cachant sa véritable identité (ce conte s'apparente à un autre récit ancien: un jeune prince, changé en dragon par un maléfice, ne pouvait rejoindre sa bien-aimée qu'à la nuit tombante et à condition de lui demeurer invisible et qu'elle en conserve le secret).
De plus, le récit adopte aussi la forme d'une quête: c'est l'histoire typique du héros qui, confronté à une tâche ou à des épreuves, doit surmonter une série d'obstacles, ce qu'il ne réussit qu'après avoir mis à jour les faiblesses qui le rendaient vulnérable. Toutefois, Lucius n'est pas seulement à la recherche du bouquet de roses qui annulera le charme qui l'a transformé: il vit un véritable voyage initiatique et purificateur qui lui gagnera les faveurs de la déesse Isis. Celle-ci non seulement le délivrera de l'enchantement et le prendra sous sa protection divine mais, après lui avoir révélé les mystères de son culte, lui offrira une vie nouvelle au sein de son clergé. Cette transformation et son initiation au culte d'Isis lui offrent le salut éternel. Lucius voit donc son quotidien exploser, il vit des expériences totalement différentes de ce qu'il a connu jusqu'alors, qui le changent profondément et puis le font renaître (On note que les cultes initiatiques ou dit “à mystères” greco-romains avaient plusieurs aspects communs avec le Christianisme). Ce genre de quête initiatique est un élément propre à la fantasy.
Allégorie morale et religieuse sur la souffrance et le salut (quoique pleine d'humour), Les Métamorphoses me rappelle un peu, entre autres romans de fantasy, Le château de Lord Valentin de Robert Silverberg, où un prince déchu et amnésique retrouve son pouvoir (et bien plus) après une sorte de quête initiatique.
Ce roman, donc, non seulement nous instruit agréablement des moeurs et des croyances de la Rome antique, mais encore constitue un étonnant récit de fantasy. C'est une lecture pour les gens curieux. À lire (ou à relire).
Les Métamorphoses ou l'Âne d'or par Apulée. Traduit par Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres (Coll. Classiques en poche, #82), juin 2007. 10,8 x 17,8 cm, 576 pg., 19,30 € / $32.95 CDN. ISBN 978-2-251-79993-3. Edition bilingue (Français et latin).
Ceci n'est pas l'édition que j'ai consulté. Si je ne m'abuse j'ai lu celle de la Collection des Universités de France (dite “Collection Budé”), toujours aux Belles Lettres, en trois volumes (1940-45, multiples rééditions, traduit par P. Vallette, avec texte latin en regard). Mais l'édition ci-haut est plus intéressante et plus récente. Pour une édition plus abordable, je recommande soit celle de Folio Classique, soit l'édition anglaise de Penguin Classics. (Apparemment il en existe aussi une adaptation graphique, aux allures érotiques, par Milo Manara aux Humanoides Associés. C'est à voir!)
Vous pouvez également lire Les Métamorphoses en ligne soit sur le site de Remacle ou celui de la BCS (Bibliotheca Classica Selecta).
Pour plus d'information vous pouvez consulter les sites suivants:
Ce billet est une version légèrement corrigée et augmentée d'un article paru dans Samizdat #11-12 (Avril 1988): 11-13.
[ Translate ]
No comments:
Post a Comment